Est-ce que la radiotélé publique survivrait à NoBillag?

Les défenseurs de l’initiative No billag ne veulent plus admettre qu’ils souhaitent supprimer la radio et télévision publiques en Suisse. Le problème, c’est que les programmes de la RTS sont populaires, contrairement à l’organisme qui collecte les fonds pour les financer. Le sondage Iakom montre que les programmes publics en Suisse sont systématiquement mieux notés que les offres privées pour ce qui concerne la professionnalité, le contenu de l’information ou la neutralité des programmes (Figure ci-dessous). En 2011, un sondage montrait également que 64% des sondés étaient satisfaits des programmes de la télévision publique, et 74% de la radio. Le pourcentage de satisfaction des médias privés était bien plus bas.

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Niveau de satisfaction avec les programmes publics et privés (1=très mauvais; 5= excellent). En Bleu= Suisse Romande.

Face à ce constat, les initiants affirment maintenant que les personnes qui veulent les programmes de la RTS pourraient les financer sur une base volontaire, sans la contrainte de la redevance obligatoire. Il faut noter qu’il ne pourrait pas y avoir d’autre financement public fédéral de quelque sorte: le texte de l’initiative l’interdit expressément.

La question est de savoir si ce système purement volontaire fonctionnerait. En théorie, tout le monde payerait pour ce qu’il consomme. Puisque les suisses sont satisfaits des programmes de la RTS, pourquoi ne payeraient-ils pas d’eux-mêmes? En pratique, c’est très peu vraisemblable. C’est un phénomène que l’on connaît bien en économie: tout le monde veut toujours jouir de services sans en avoir à en payer le prix. On appelle ça le “dilemme de l’action collective”.

Ainsi, tout le monde veut de l’énergie électrique pas chère, mais personne ne veut habiter près d’une centrale nucléaire ou d’un dépôt de déchets radioactifs. Tout le monde veut pouvoir bénéficier d’une transplantation en cas d’accident mais nous avons un déficit chronique de donneurs d’organes. Il y a une myriade d’exemples qui prouvent que même si une majorité d’individus désirent un service ou un bien public, chacun va essayer de minimiser sa propre contribution, soit par choix délibéré, soit pas inertie, paresse ou manque de temps. C’est précisément pour cela que l’on a un système d’assurance maladie obligatoire. Aux Etats-Unis, où le système n’était pas obligatoire jusqu’à Obamacare, on a une masse très important de personnes non assurées mais qui utilisent tout de même les services de santé en situation d’urgence. Le résultat: le système Américain sans obligation est le plus cher des pays avancés. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une masse d’individus bénéficieraient collectivement de quelque chose qu’il vont contribuer à le produire. C’est triste, mais c’est extrêmement normal.

Si la redevance TV devenait volontaire, il est très peu vraisemblable que la RSR puisse générer le même niveau de revenu et assurer les mêmes prestations, parce que des programmes d’information nationale et locale en 4 langues sont très chers à produire. Puisque la base de contributeurs diminuerait presque certainement, la redevance devrait augmenter sur une base plus petite de contribuables, rendant le système insoutenable. Alternativement, il devrait y avoir une augmentation considérable de la publicité. Contrairement à un système de souscription comme Netflix, qui peut vendre ses programmes dans des centaines de pays, des programmes comme Infrarouge ou Arena, ou les infos locales jurassiennes, ont une base de marché très petite. L’offre telle que nous la connaissons serait drastiquement réduite, et la satisfaction des téléspectateurs diminuerait certainement également. A ma connaissance, il n’y a aucun système de télévision publique qui est financé selon ce modèle.

La disparition ou la réduction massive de la SSR pourrait-elle être compensée par une offre privée? Pour savoir à quoi un système médiatique audiovisuel complètement privé ressemblerait, on peut penser à deux exemple: presse écrite suisse et la télévision américaine.

On sait bien ce qui s’est passé au cours des quinze dernière années dans la presse romande, où il n’y a pas d’acteur public: dans un marché petit marqué par le déclin des revenus publicitaires, la plupart des éditeurs romands ont été avalés par des mammouths alémaniques (Tamedia). Le feu Matin Bleu a été mangé par 20 Minutes qui recycle ses articles en allemand, le reste étant rédigé par des stagiaires. L’Hebdo a fermé ses portes, et le Matin, jadis le premier quotidien romand, va certainement enterrer son édition papier. Sur la ligne de touche, Christoph Blocher a racheté un bon nombre de journaux alémaniques avec une stratégie politique peu voilée.

Le deuxième exemple est la télévision américaine, où les grands réseaux privés (Fox, CNN, NBC) dominent les audiences sans interférence publique. Le résultat, ce sont des chaines hyper-politisées qui fonctionnent essentiellement en vase clos avec des profils idéologiques extrêmement marqués. Certains mettent en avant le role de la télévision dans le processus de polarisation qui a rendu la politique américaine si toxique au cours des dernières années. On ne saurait imaginer ce que ce genre de système dans un pays divers comme la Suisse pourrait créer.

Les arguments libertariens des pro-No Billag évoquent la liberté de choix comme argument, mais le monde dans lequel leurs utopies fonctionnerait n’existe malheureusement pas.

 

 

7 responses to “Est-ce que la radiotélé publique survivrait à NoBillag?”

  1. Nous préférons être passagers d’une utopie au décollage que suivre le corbillard d’une illusion morte depuis 150 ans. Il n’y a que Piketty et vous à croire encore au fantôme qui parcourt l’Europe.

    • Les programmes de la RTS sont tellement bon et tellement plébiscite qu’un abonnement volontaire suffira amplement, non ?
      Non forcer pas les gens qui n en veulent pas…

    • pauvre Peter qui veut défendre à tout prix l’indéfendable, à savoir l’idéologie mont Pélerin et tout ce qui s’y rapporte. votre libéralisme sans limite (improprement appelé ultra-libéralisme) est un échec et vous le savez bien. quand l’auteur écrit que votre utopie au décollage (très lourd et bien trop long décollage pour prouver son efficacité ) est une utopie qui ne fonctionne pas, c’est que sans aucune régulation de la force publique par délégation des populations, nous en serions à une régression telle que l’espérance de vie diminuerait drastiquement. comment voulez-vous faire accroire à quiconque de sensé une seule seconde que les systèmes de santé anglais et nord-américain sont une réussite? la culture générale est aussi importante que la santé, et laisser à la discrétion des individus sur la base volontaire le financement de la télé publique, c’est savoir que le niveau général intellectuel des populations ne permet pas le seul choix rationnel valable. ce que je veux dire c’est que vos semblables qui ont le pouvoir décisionnaire ont fait en sorte d’infantiliser les populations. bien sûr, ce fait est moins aggravé en Suisse qu’en France, les français ayant un niveau intellectuel en sérieuse baisse. ce n’est pas moi qui le prétend, mais le Docteur Laurent Alexandre dans un article de l’express bien vu : le crétinisme va bien, merci pour lui. pour revenir à ce que j’ai écrit plus haut, il est évident que le noBillag amènerait à la disparition de la télé publique, et donc de la qualité des programmes, car vous et vos semblables, vous créez des conditions de vie aux populations mondiales qui ne peut que les mener à ne plus vouloir financer par prélèvements obligatoire le fonctionnement des biens publics. c’est donc votre utopie qui prône le chacun pour soi qui est bien l’utopie la plus dangereuse qui soit, car elle refuse le seul mode de survie de l’espèce humaine qui fonctionne bien dans l’intérêt de tous, le mode de vie sociétal ne vous en déplaise, peter, l’espèce humaine est sociale, même malgré elle.

  2. Votre analyse semble confondre contribution volontaire et système d’abonnement. Il va de soi qu’un système dans lequel les chaînes de la SSR resteraient disponibles pour tout le monde et où on demanderait aux citoyens de contribuer volontairement au financement de ces chaînes ne pourrait pas fonctionner. La chaine Canal 9 en Valais a tenté une telle démarche, qui n’a évidemment pas abouti.
    Je n’ai personnellement entendu aucune personne proposer un tel système pour la SSR dans les débats autour de l’initiative. Ce que l’on propose, c’est un système d’abonnement aux chaînes actuellement subventionnées. Un abonnement que les citoyens souscriraient auprès de leur télédistributeur, comme pour Canal + ou certaines chaînes sportives. La SSR proposerait ainsi toutes ces chaînes dans un seul bouquet optionnel disposons le dans l’offre du télédistributeur. Afin de maximiser le nombre d’abonnés, la direction de la SSR serait sans doute bien avisée de proposer cet abonnement à un prix qui ne serait pas supérieur à la part de redevance que les citoyens auraient payée pour ces programmes. Étant donné que la redevance prévue pour 2019 s’élève à 365 francs, et la SSR en recevrait 90%, un tarif de 27 francs par mois pour l’abonnement aux chaînes de la SSR semblerait indiqué.
    La différence avec ce dont vous parlez est que ceux qui ne souscriraient pas l’abonnement n’auraient évidemment pas accès aux chaînes de la SSR, annulant ainsi l’effet d’opportunisme que vous décrivez en cas de “redevance volontaire”.
    Toute la question reste de savoir combien de personnes souscriraient cet abonnement. Les opposants à l’initiative eux-mêmes avancent que la proportion de la population qui utilise régulièrement la SSR atteint 94%. L’OFCOM, l’autorité de contrôle des médias subventionnés, relève aussi que la satisfaction moyenne des spectateurs de la SSR atteint 3,9 sur 5, un score nettement supérieur à celui des autres chaînes. Si le prix de ces programmes n’augmente pas significativement, il semble donc raisonnable de penser que la plupart de ces utilisateurs satisfaits ou très satisfaits voudront continuer à accéder à leurs programmes favoris et seront donc disposés à souscrire l’abonnement. La recette potentielle de ce système, si 94% des ménages suisses souscrivaient un abonnement à 27 francs par mois pour les chaînes de la SSR, serait de 1,1 milliard, soit 6% de moins que ce qu’elle recevrait avec la redevance, et surtout largement assez pour lui permettre de ne pas disparaître.
    Ainsi, un système d’abonnement ne constitue en rien l’utopie irréaliste à laquelle vous faites référence dans votre dernier paragraphe qui, soit dit en passant, ressemble beaucoup plus à de l’idéologie politique qu’à une conclusion scientifique, ce qui jette le doute sur la motivation de votre analyse.

    • Erratum : “La SSR proposerait ainsi toutes SES chaînes dans un seul bouquet optionnel DISPONIBLE dans l’offre du télédistributeur.”

    • et si, c’est bien une utopie irréaliste que vous présentez. et je sais que vous le savez. je ne sais pas si pour l’auteur cela relève de l’idéologie politique, puisque ne le connaissant pas, mais pour moi, cela relève de la nécessité vitale en ce qu’elle concerne un choix fondamental de société qui se rapporte à la conservation et à l’amélioration de nos sociétés. voulons-nous, oui ou non, une société viable ou la loi de la jungle? c’est ce que demande l’existence de votre libéralisme sans limite. pour moi, le choix est fait, je souhaite une vie digne et décente pour toutes et tous. a mes yeux, elle est une utopie au bien meilleur parfum que votre libéralisme sans limite. quand à votre argumentaire chiffré, je le prend pour ce que c’est réellement, un discours capable d’endormir la vigilance d’un chat sur une caisse de poissons frais.

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